Description
Écrit en 1986, Ratsiraka : Socialisme et misère à Madagascar se présente comme un manifeste pour une meilleure gouvernance de l’État malgache. En réalité le livre détaille au hachoir l’action de l’Amiral Rouge (un des surnoms de Ratsiraka) durant son premier mandat. Nous n’apprendrons donc rien sur sa vie personnelle (1936 – 2021), et rien d’original sur son très médiatique entourage familial.
En revanche, les enseignements dont cet essai foisonne méritent largement qu’on s’y plonge. En particulier pour ceux qui ont vécu les années Ratsiraka en somnambules, trop jeunes pour comprendre la crise économique dans laquelle le pays s’enfonçait.
Ferdinand Deleris a occupé les postes de Directeur des Affaires économiques de la République malgache (1959-1965) et de Conseiller du ministre des Affaires étrangères de Madagascar (1967-1969) (source : persée.fr). C’est donc en connaisseur qu’il a publié quatre livres sur la Grande Île, en comptant cette radiographie du premier Ratsiraka. Radiographie que beaucoup n’approcheront pas sans méfiance, en raison du CV de l’auteur. C’est tout l’intérêt des livres d’Histoire.
1) Une fresque minutieuse
Pour ancrer le sujet dans son contexte, l’ancien administrateur néocolonial rappelle les sources de la révolution socialiste qui a donné naissance à la deuxième république malgache. Il remonte aux premiers mouvements nationalistes de 1915, avant d’analyser les événements de 1947, puis d’aboutir à la révolte étudiante de 1972. Il décrit ensuite l’idéologie de Deba (un autre petit nom de Ratsiraka) et sa mise en pratique, avant d’en faire un bilan contemporain, en 1986 (date de parution de l’ouvrage).
Il faut insister là-dessus : ces chapitres méritent d’être lus en raison des connaissances fabuleuses qu’ils apportent sur le vingtième siècle malgache. Non seulement l’auteur s’appuie sur des documents économiques parfois de première main, mais il fait preuve de la même profusion rigoureuse au sujet de l’idéologie de Ratsiraka et de sa mise en œuvre. Vous apprendrez beaucoup.
Vous grincerez aussi, peut-être, des dents.
2) Ratsiraka : Socialisme et misère à Madagascar : un essai partisan
Parce que l’un des aspects les plus enrichissants du bouquin reste la doctrine de l’auteur et les ingrédients de cette doctrine, à savoir :
▪ Une défense et illustration des réalisations de la France à Madagascar, une mise en valeur dont les Malgaches se seraient montrés incapables.
▪ La décrédibilisation acharnée des mouvements indépendantistes, soupçonnés de vouloir réinstaurer la domination des « Hova » sur les « Andevo » et de réduire à nouveau ces derniers en esclavage.
▪ Une critique corrélative des Merina. À l’instar de l’administration coloniale, qui soupçonnait les « Hova » de 1896 de toutes les perfidies tout en leur confiant les plus grandes responsabilités, Ferdinand Deleris accuse les Merina de 1960, entre autres crimes, de faire obstacle au progrès, par leur attachement aux « fomba ».
De là à affirmer que la révolution de 1972 a été provoquée par des Merina frustrés d’être écartés de l’administration Tsiranana, il n’y a qu’un pas, que Ferdinand, fidèle à ses convictions, franchit en toutes lettres.
3) Une autopsie prophétique ?
Ne partez pas. L’auteur explique en détail comment Madagascar s’est trouvé en cessation de paiement en 1981. Comme dit plus haut, la misère est décrite, analysée, chiffrée. On se rappelle que Didier Ratsiraka incriminait trois facteurs. Le choc pétrolier, la poussée démographique et, pour reprendre l’expression consacrée, la dégradation des termes de l’échange. Eh bien Deleris réfute ces arguments un à un. Des chiffres très intéressants défilent sous nos yeux, sur les volumes et les flux commerciaux de l’époque.
Plus intéressant encore, nous lisons :
▪ que les principes socialistes du Boky Mena se sont traduits dans les faits par l’exploitation systémique des paysans, ce qui a eu pour conséquence de paupériser les agents les plus productifs du pays.
▪ que la misère matérielle des années 80 s’est accompagnée d’une dégradation des valeurs morales et de violations répétées des droits de l’homme et de la presse.
▪ que la vraie raison de la débâcle était « l’application aveugle des principes contenus dans le Livre Rouge par des cadres, peut-être enthousiastes mais certainement inexpérimentés ».
▪ que si Ratsiraka a renoncé au socialisme révolutionnaire, c’était uniquement pour s’attirer l’aide internationale.
▪ que, dès 1986, un avenir sombre guette un pays qui vient pourtant de trouver grâce aux yeux des Occidentaux.
Conclusion : un livre daté mais instructif
En refermant ce livre typique de toute une époque, qu’est-ce que vous vous direz ? Qu’on ne peut pas lire trop de livres d’Histoire sur Madagascar.
Parce que, au lieu d’attiser le découragement, Ratsiraka : socialisme et misère à Madagascar incite à vérifier des données, à contre-documenter des arguments et des faits et, surtout, à réfléchir. Bien sûr, de nombreux passages paternalistes (au mieux) peuvent enfermer certains lecteurs dans les tunnels bouchés de la furie furieuse. Parmi ces passages, l’avant-dernière page aux relents calomnieux, qui donne une idée du ton général :
Le peuple malgache doit (…), avec ou sans Ratsiraka, se doter des moyens institutionnels qui lui donneront la possibilité de travailler, d’épargner, d’investir, d’innover, et devenir majeur.
À quoi on peut associer ces mots de Michel de Montaigne : « Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non pas ma colère ; je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit ».